Stéphane Ruffier et la solitude du gardien de but
Le gardien des Verts est très fort dans sa cage, mais en dehors il est plus sur la réserve. Ce qui frappe c'est chez lui cette sorte de mélancolie et non pas de l'arrogance. Sur ce tempérament il déclare: "je ne vois pas pourquoi je devrais sourire à tout le monde, toute la journée".
Et justement dans un article publié par Le Monde le styliste anglais Paul Smith se demandait si l'idée de porter un maillot différent du reste de l'équipe ne séduirait pas un certain type de personne - des individus solitaires, peut-être, des introvertis, des penseurs, mais aussi des gens qui aiment, de temps à autre, être au centre de l'attention. C'est vrai que Ruffier se transforme sur le terrain, il devient un guerrier.
On le sait un gardien de but doit être prêt à accepter de porter davantage que sa part de responsabilité quand les choses se passent mal. Parce que quand tout va bien, évidemment, le gardien a froid et s'ennuie : il a rien à faire.. Dans les deux cas, c'est un poste bien solitaire. Illustration parfaite (citée par So Foot) le 23 octobre 1957, au Parc des Princes. Le Racing Club de Paris reçoit Monaco sous les caméras des “actualités françaises”. Sur une descente d'un ailier monégasque, qui largue une grosse frappe lourdingue à la trajectoire mollement bondissante, le gardien parisien se troue et la balle finit au fond des filets. Le reporter se tourne alors vers un “spectateur parmi les 35 000 spectateurs”, debout en imper-cravate: Albert Camus, 44 ans, tout juste auréolé de son prix Nobel. Les malheurs du goal du Racing reçoivent chez l'écrivain “l'indulgence d'un confrère”, qui le défend d'une phrase toute compassionnelle: “Il ne faut pas l'accabler. C'est quand on est au milieu des bois que l'on s'aperçoit que c'est difficile”. La nouvelle gloire nationale sait de quoi elle parle: “j'étais goal au Racing Universitaire Algérois”, cloute l'écrivain, comme pour donner plus de poids encore à son propos. Camus sait bien que sur un terrain et sur une scène de théâtre on est à la fois solitaire et solidaire.
Peut-être bien qu'un gardien de but, c'est un peu comme le batteur dans un groupe de rock. Il fait partie du collectif tout en restant en retrait. Un batteur ne bouge pas de derrière ses caisses, et un gardien ne sortira qu'exceptionnellement des limites de la surface de réparation. L'un et l'autre s'entraînent souvent seuls.