Corneille, l'artiste préféré des bizutages de l'équipe de France
Corneille que j'ai eu la chance de rencontrer est plébiscité par les joueurs de l'équipe de France.
A l'image de Morgan Schneiderlin ou Benoît Costil avant lui, Layvin Kurzawa, nouveau venu au sein de l'équipe de France, a choisi Corneille pour pousser la chansonnette devant ses coéquipiers, comme le veut la tradition. Un bizutage plutôt réussi de la part du latéral gauche de l'AS Monaco, appelé en renfort pour pallier le forfait de Benoît Trémoulinas, en délicatesse avec un orteil. "Il a un beau grain de voix", a commenté Schneiderlin, de passage ce lundi devant la presse à Clairefontaine. "Mais c'est trop facile, c'est toujours la même chanson", a ajouté, tout sourire, le milieu de terrain de Southampton, qui avait lui aussi chanté "Parce qu'on vient de loin", un titre visiblement apprécié des Bleus. Le Stéphanois Loïc Perrin va devoir choisir une autre chanson puisqu'il avait également fait ce choix.
Le fonctionnement de notre société moderne est basé sur le rationnel, la technique, l’efficacité. Le sociologue Max Weber parlait du désenchantement des sociétés modernes.
Dès lors, laisse-t-on encore une place pour le rite? Paradoxalement, nos médias parlent beaucoup de rite, faisant croire que dès qu’il y a répétition, il y a rite.
Le concept de rite de passage est apparu dans un ouvrage d’Arnold Van Gennep : Les Rites de passage, en 1909 [6]. Van Gennep montre que les rites de passage sont invariablement structurés en trois phases. Dans la phase préliminaire, des rites de séparation avec l’état antérieur visent à édifier des frontières symboliques autour de l'individu. Ensuite, pendant la phase liminaire, les rites visent à la marginalisation (marge, c’est à dire seuil, entre deux). Enfin, la phase d'agrégation postliminaire consiste en l'incorporation à un nouvel état [7].
Pour Van Gennep, les rites de passage accompagnent chaque changement de lieu, d’état, de position sociale et d’âge.
Max Gluckman[8], professeur à Manchester, fait une lecture critique de van Gennep et y ajoute une considération fonctionnelle : ce que n'a pas vu van Gennep, c'est que les rites de passage, comme tous les autres rites, ont vocation à résoudre des conflits, ou du moins des tensions inhérentes à toute organisation sociale fondée sur des groupes familiaux ou de statut.
Pour Patricia Keimeul, un rite de passage est une cérémonie marquant le fait qu’une personne passe d’un rôle, d’une phase de sa vie ou d’un statut social à un autre[9].
Le rite marque une volonté d’inscription, par-delà la subjectivité singulière et la sphère familiale, dans un tissu social plus large[10].
Selon cette sociologue, on retrouve des lieux communs propres aux rites :
un comportement stéréotypé, de caractère répétitif
un cérémonial codifié, souvent imposé par le groupe social
Pierre Bourdieu[11], né en 1930, est de ceux qui pensent que Van Gennep n’a rien fait d’autre que de nommer un rite, sans s’interroger sur la fonction sociale du passage : il va jusqu’à dire que cette théorie insistant trop sur les effets temporels du rite, par exemple le passage de l’enfance à l’adolescence, masque une des fonctions du rite, qui est de séparer ceux qui l’ont subi, non pas de ceux qui ne l’ont pas subi, mais de ceux qui ne le subiront jamais.
Bourdieu propose de substituer au concept de rite de passage celui de rite de légitimation, rite de consécration, rite d’institution, en insistant sur la mise en évidence du pouvoir des autorités qui l’instaurent. Le rite ne fait pas passer, mais sanctionne, sanctifie le nouvel ordre établi. Le concept bourdieusien met en lumière la nécessité d’une instance de légitimation. Qu’il institue ou qu’il fasse passer, le rite ne peut être autoadministré, il lui faut une autorité supérieure.
Quoi qu’il en soit, force est de constater que toutes les sociétés ont besoin de symbolisation pour donner du sens à la vie. Depuis plusieurs siècles, au sein des corporations, il est de tradition de "faire marcher" le petit nouveau. Dans le monde de la restauration, du bâtiment, mais aussi à l’armée ou dans les mouvements de jeunesse, les anciens ritualisent l’arrivée du petit dernier en le soumettant à des épreuves plus ou moins ridicules ou humoristiques. Il y a aussi, dans un registre plus déviant celui les épreuves au sein des bandes urbaines, où l’entrée dans un groupe passe par le fait de commettre un délit.
Ce qui est curieux dans le choix des bleus c'est que le thème de la chanson de Corneille est plutôt dramatique:
Refrain:}
Alors on vit chaque jour comme le dernier
Et vous feriez pareil si seulement vous saviez
Combien de fois la fin du monde nous a frôlés
Alors on vit chaque jour comme le dernier
Parce qu'on vient de loin
Quelle est cette histoire? Au départ, Corneille passe une enfance heureuse, paisible au Rwanda. Mais en Avril 1994, au début de la guerre civile, tout bascule. Un groupe armé entre chez lui et massacre son père, sa mère, ses frères et ses sœurs. Caché derrière un canapé, Corneille, 17 ans, assiste, impuissant à la scène. Il parvient à s’enfuir vers le Zaïre voisin, puis vers l’Allemagne. Après un séjour au Canada, il entre en France et sort son premier album en 2001 « Parce qu’on vient de loin ».