Dans l'ombre de Karim Benzema...
Je me souviens que lors du rassemblement de l'équipe de France en Avril 2015 dans la région stéphanoise, nous étions une dizaine à avoir échangé quelques mots avec les Bleus en balade . Karim comme les autres n'avait montré aucun mépris pour les supporters de l'équipe de France, alors qu'on l'accuse souvent de cela. Au contraire très disponible il était arrivé vers moi en me tendant la main.
Alors que le flux émotionnel médias et réseaux sociaux va faire émerger des petits procureurs pour juger Benzema, il est sans doute urgent de prendre du recul. Après la sextape Valbuena, c'est l'affaire du crachat à Santiago Bernabéu... ce geste, capté par une caméra de télévision, a suffi à nourrir une polémique comme les réseaux sociaux en raffolent. Au fond, peu importe ce que dira (trop tard) la justice, Benzema est pour l’heure déjà condamné par la presse, les hommes politiques (le ministre des Sports, le Premier ministre) et, bien sûr, l’opinion publique (82 % des Français ne souhaitent plus le voir porter le maillot de l’équipe de France, selon un sondage réalisé début décembre).
A mon avis il est pris par des forces qui le dépassent. Pour le montrer j'utilise dans dans la seconde partie de ce texte des éléments du psy Carl Gustav Jung avec l'archétype de l'ombre...
D'où vient le joueur du Réal? Il est né à Bron en 1987 dans la banlieue Lyonnaise dans le quartier populaire de Terraillon. Karim Benzema est le sixième d’une fratrie de neuf enfants. Ses parents étant tous deux des enfants d’immigrés algériens, il est ce qu’on appelle (improprement) une “troisième génération”. Il connaît très peu l’Algérie, le village kabyle du grand-père, ne parle ni kabyle ni arabe. C’est avant tout un enfant de Bron-Terraillon, un quartier difficile de la banlieue lyonnaise, constituée de copropriétés dégradées et de logements sociaux, avec un fort taux de chômage, une délinquance juvénile endémique, une forte présence immigrée. Ses parents ont tout fait pour le protéger de la mauvaise influence du quartier : d’abord, en choisissant pour lui en sixième un collège privé du premier arrondissement de Lyon ; ensuite en obtenant de l’Olympique lyonnais une faveur rare, à savoir une chambre d’interne au centre de formation, situé à cinq minutes de son quartier de Bron. (Source Les Inrocks).
Il est devenu un joueur international très bien payé, mais sa socialisation à l'origine à forcément été marqué par son groupe de pairs de l'époque comme tous les enfants. On se souvient tous de nos potes, des parties de foot dans la cour de récréation. Avec la célébrité Karim n'a pas tiré un trait sur ses souvenirs.
Dans la période où je l'avais rencontré, il avait fait un déplacement le lendemain dans l’école Jean-Moulin de Terraillon. "J’ai fait mes gammes ici"... La visite surprise, dans cet établissement restera dans les mémoires des élèves qui ont pu échanger avec lui quelques paroles et quelques ballons. Ce rendez vous organisé par la Fédération française était relayé par la municipalité de Bron et l’association «Les Gones de Moulins».....
Karim Benzema est sous la lumière des projecteurs de la célébrité, mais tous les petits gones du quartier de son époque n'ont pas suivit le même chemin. Certains ont connu l'ombre de la prison. Mais tous peuvent intérioriser durablement la sous-culture juvénile de cité par l’affichage d’une “masculinité agressive” (Norbert Elias), une mise en scène du virilisme et du machisme, une opposition structurelle aux institutions (scolaire, policière, judiciaire).
C'est le cas de son ami d'enfance Karim Zenati,dont le nom est cité dans l'affaire Valbuena.
Ainsi le Karim de la lumière et le Karim de l'ombre sont deux faces d'une même pièce. Au plus profond de l'ombre de son inconscient Benzema a mémorisé l'archétype du mauvais garçon que le sport lui a évité d'incarner. Dans la psychologie de Jung, l'Ombre joue un rôle capital. Elle représente tout ce que nous cachons aux autres et à nous-même pour ressembler à un modèle idéal. C'est en fait notre partie obscure, le pôle complémentaire, mais négatif, de notre complexe du Moi. Au cours de notre vie, cette zone ignorée reçoit le dépôt de plus en plus épais de nos actes passés, du refoulement de nos désirs illicites, de tout ce que nous avons entrepris et raté, dépôt alimentant notre culpabilité et notre amertume. Plus nous ignorons volontairement cette lie, plus elle devient noire et épaisse. Ce dépôt ne représente pas forcément le Mal en nous, mais plutôt tout ce qui est primitif, aveugle, inadapté. Il alimente notre peur.
Comment affronter cette inconnue si puissante? Nous nous rendrons vite compte qu'elle possède une énergie qui nous dépasse; la forcer nous fait risquer le pire. Il faut plutôt tenter de dialoguer avec elle. Sa réponse survient un jour, toute seule, évidente, d'une façon imprévisible. Nous devons ainsi dépasser le conflit, plutôt que le résoudre. C'est à ce prix que nous intégrerons notre Ombre, sans répercussion fâcheuse. Si nous refusons ce marché - et la tentation est grande -, l'Ombre régentera en secret notre existence et nous tendra des pièges...
Benzema est au sommet mais il ne laisse jamais tomber Zenati,c'est comme un frère. Pourtant ce dernier en 2003, à peine majeur , tombe dans une affaire de braquages, commis dans des supérettes.
La sanction tombe en 2006 pour Zenati : huit ans de prison. Aux assises, il fait forte impression au président d’audience. « On vient des quartiers où l’on n’a pas les mêmes repères. La violence, on est né dedans, dans les cités, à l’école. On n’a pas pris conscience qu’en faisant des braquages, c’était quelque chose de grave », déclare-t-il dans une confession choc, rapportée par Michel Girod dans Le Progrès. « Je pensais que ce gars était susceptible de s’en sortir, il voulait dire d’où il venait, ce n’était pas une excuse, c’était réfléchi », se souvient Hervé Guyenard, son avocat à l’époque. La cité plus forte que sa bonne volonté ? En novembre 2009, Karim Zenati est cette fois interpellé par l’antigang de Lyon, de retour d’Espagne à bord d’une Audi TT chargée de plus de deux cents kilos de cannabis. Un « go-fast » agité, avec fuite à tombeau ouvert sur l’autoroute A7, malgré des pneus crevés.
D’origine tunisienne, il a un physique un peu antillais, d’où le surnom de « karla » ou « karlouche », « black » en argot des cités. Toujours fidèle malgré les ennuis, le joueur de foot devenu célèbre le visite en prison. Il favorise sa sortie en lui trouvant un emploi. L'Ombre a pour caractéristique la noirceur la plus absolue. Elle témoigne ainsi de son imperméabilité à la lumière, c'est-à-dire à la pleine conscience. Pour expliquer la très forte relation qui lie Benzema et Karim Zenati (qui a quatre ans de plus que lui), Frédéric Guerra insiste à juste titre sur la nature très particulière de ce type de relation d’amitié masculine dans ces quartiers : “C’est plus qu’une emprise affective. Il se passe entre eux deux ce qu’il se passe toujours dans ces quartiers : là-bas, en amitié, c’est ‘à la vie à la mort’. (…) Je le sais très bien, parce que j’ai grandi à Bron, à cent mètres de l’endroit où Karim a passé son enfance.”
Cette ombre mal gérée le rendra toujours suspect aux yeux de certains.....Benzema: "C'est de l'acharnement. On m'accuse, on me traine dans la boue, comme si j'etais un criminel"..Comme l'écrit Jérôme Latta des cahiers du football "En réalité, Karim Benzema n'a jamais été vilipendé seulement pour ce qu'il fait, mais pour ce qu'il est – ou plutôt pour ce qu'il représente au yeux de ceux qui le vilipendent, et de qui il est le problème bien avant d'en être un en soi. À leurs yeux, l'affaire du chantage leur donne raison, alors qu'elle ne saurait légitimer a posteriori le procès qu'ils lui ont intenté depuis le début, essentiellement pour délit cumulé de faciès et de sale gueule. Jeune Arabe qui a réussi, footballeur parmi les mieux payés au monde, il refuse les relations de complaisance avec les médias et s'obstine à poser avec morgue devant ses voitures de luxe, fort peu soucieux de lisser son image et de donner des gages de civilité (ne serait-ce qu'en marmonnant la Marseillaise)."
Comme l'écrit Stéphane Beaud dans les Inrocks: Au fond, le cas Benzema opère comme un symptôme. A travers le soupçon sans cesse instillé que ces joueurs de cité ne peuvent pas appartenir au “Nous” national, n’ont pas à porter le maillot national et à représenter le pays, ne met-on pas aussi en doute, plus largement, la légitimité des jeunes issus de l’immigration postcoloniale à prendre place normalement dans la société française contemporaine. A ce titre, dans un pays plus que jamais tenté par le vote Front national, le football se révèle être bel et bien une affaire profondément politique.