Revoir le film L.627 avec Didier Bezace
Cela remonte à 25 ans pour Didier Bezace, mais le rôle de Lulu reste marquant dans sa carrière.
L.627 est l'article de loi qui réprime les infractions liées à la détention, au trafic ou à la consommation de stupéfiants. Or, cet article n'est guère appliqué au début des années 90. C'est ce qui ressort du quotidien de Lulu (Didier Bezace), inspecteur à la brigade des stups. Avec sa coéquipière, Marie (Charlotte Kady), ils traquent des dealers relâchés au bout de quelques jours. Le tout dans des conditions de travail très difficiles: locaux en préfabriqué, machines à écrire archaïques...
Bertrand Tavernier doit le réalisme extrême de l'oeuvre à son fils, Nils, comédien, confronté très jeune à des problèmes de drogue. Il a mis son père en relation avec Michel Alexandre. Cet inspecteur de police a nourri le scénario de personnages tous extrêmement justes et attachants, et emmené l'équipe du film avec la sienne lors des repérages dans les quartiers chauds de la capitale.
À la sortie du film, en 1992, les policiers applaudissent. Paul Quilès, ministre de l'Intérieur, voit rouge. Selon lui, L.627 livre une vision caricaturale de la vie dans un commissariat. «De nombreux professionnels confirment la véracité du scénario, précisait alors le réalisateur. Paul Quilès n'a qu'à aller visiter les préfabriqués qui servent de commissariat à 500 mètres de chez lui.»
Sur le site http://id.erudit.org/iderudit/50101ac le réalisateur expliquait:
— Je voulais des gens neufs. Je voulais des gens qui ne sont pas inscrits dans le cadre du film policier et qui n'appartiennent pas au genre. Je voulais des gens qui puissent passer inaperçus dans la rue quand on tournait la caméra cachée. Il y a aussi un instinct qui vous dit que si vous faites La Vie et rien 'autre, le fait de prendre Philippe Noiret appartient déjà au scénario. Alors le choix de Philippe Noiret est une économie de scénariste. Ça vous permet de couper cinq ou six scènes. Par contre, dans un film comme L.627 le choix de Didier Bezace c'est aussi une exigence impérieuse, car il fait partie du projet. C'est également une exigence du style que d'avoir des acteurs qui sont neufs.
— . Pour moi, c'est excitant de filmer des visages nouveaux. C'est aussi se mettre en danger. C'est aussi prendre des risques en faisant débuter soixante-dix comédiens dont trente-cinq jouaient pour la première fois. Mais il fallait que j'aie un acteur principal auquel on croit autant à son anonymat qu'à sa façon de regarder les choses. Je trouvais cela dans Didier Bezace.
— J'ai rencontré beaucoup de policiers comme Lulu qui est inspiré lui-même de Michel Alexandre. Ce sont des policiers pleins de passion pour leur travail, qui pensent qu'ils ont un vrai boulot à faire et qui le prennent avec un sérieux moral. Ce sont des personnages que l'on rencontre partout dans une société. Ce sont des gens qui croient à un service public qu'ils essaient de faire honnêtement. Cela me touche. Parfois ce sont même des gens qui vont trop loin pour faire leur boulot. Alors ils se coupent, comme Philippe Noiret dans La Vie et rien d'autre. Donc, des gens qui deviennent obsédés par leur travail, par leur mission et qui risquent de se couper des gens qu'ils aiment, de leur famille, etc. C'est un thème que je trouve magnifique et qui m'est personnel parce que je m'identifie à eux. Quand je fais un film, je risque parfois de faire du mal à des gens qui vivent avec moi. parce que le film prend une place dévorante.
— Lulu n'est qu'un pion. Une phrase explique tout: «Tu sais, dans la police, le résultat ne compte pas.» Ce qui est pour moi une aberration. On ne se soucie pas d'avoir le meilleur élément à l'endroit où il faut. C'est une espèce de dictature administrative qui correspond quelquefois à des antipathies, à des règles stupides, à des décisions kafkaïennes et non à des sentiments logiques. Au début du film, Lulu est déplacé pour des raisons honteuses.
— Je voulais montrer l'énorme différence entre des intentions politiques — tous les ministres de tous les pays concèdent que la drogue est le problème numéro un — et le résultat concret. Je voulais aussi réagir contre les films policiers à l'américaine et présenter un policier qui soit vraiment français, c'est-à-dire enraciné dans le contexte français. Je voulais renoncer aux clichés américains comme l'individualisme forcené et rejeter la tyrannie de l'intrigue. L.627 refuse les intrigues — non pas l'histoire — comme toute résolution. Il n'y a ni leçon, ni mode d'emploi. Le film pose des questions, mais ne conclut rien. Tout reste ouvert, y compris les relations personnelles des personnages. Il n'y a aucune fin dans aucune des relations personnelles des personnages. Je voulais cette fin ouverte qui questionne les spectateurs. C'est une manière de dire: maintenant c'est à vous de continuer le film, il vous appartient. Tout ce qui s'est passé après le film: bataille avec le ministre, les débats dans les salles, les diverses réactions, tout ça appartient au film.
— Le film a été condamné par le ministre de l'Intérieur parce qu'il le trouvait caricatural et que c'était une honte de montrer ça. Ce qui prouvait qu'il ne connaissait pas la réalité. J'ai eu des centaines de lettres des flics de la rue. Ils disaient que le film restituait leur vie. Le représentant du plus gros syndicat des policiers en civil a dit à Europe I que L.627 est un film qui le dispense de faire son rapport moral annuel, parce que l'on a là tout ce que les policiers crient dans le silence et que les hommes politiques refusent d'entendre. Ce film montre tout le délabrement de leur travail, la disparition d'une approche morale des choses, le manque de moyens, le fait que les problèmes ne sont pas abordés avec une vue d'ensemble. Tout ça constitue une dérive de l'institution policière sur laquelle le pouvoir se décharge.