Irène Frain Sortir de rien
Irène Frain, née Le Pohon, née à Lorient (Morbihan), est une femme de lettres française, romancière,journaliste et historienne. Elle est membre fondateur du Women's Forum for the Economy and Society. Née dans une famille encore très proche du milieu rural et de son dénuement, Irène Frain s’est d’abord signalée par un ouvrage historique sur l’âge d’or de la Bretagne maritime, Quand les Bretons peuplaient les mers (1979).
Après avoir étudié au Lycée Dupuy-de-Lôme de Lorient, elle obtient l'agrégation de lettres classiques, puis enseigne plusieurs années à la Sorbonne et en lycée, notamment au Lycée Jacques-Decour à Paris 9e et Lycée de Lagny (Seine et Marne).
Un jour, un journaliste m'interpelle : "Vous qui êtes sortie de rien..." Quel rien ? La misère de mon père ? Je retourne en Bretagne. Le fil du passé n'est pas rompu, les gens se souviennent. Un monde stupéfiant ressuscite, un lignange dont j'ignorais l'existence : rudesse et merveilles, austérité et truculence, cocasserie, poésie. L'esprit même de mon père, l'humilié qui ne plia jamais devant l'adversité.
On ne dira jamais assez l'importance de nos racines, Irène Frain, auteure reconnue, s'est ainsi vue interpellée et interrogée sur ses origines jugées de piètre condition, sans s'être jusque là vraiment penchée sur le parcours de son père. Piquée au vif, elle va emmener son lecteur sur les traces de ses ancêtres à la manière d'une enquête policière... aussi foisonnante que riche.
Un père qui à 11 ans venait tout juste de passer son certificat d’études lorsqu’il se retrouva placé d’autorité par sa mère comme beutjul « enfant à tout faire » chez un paysan. Pendant quatre ans, « le dixième de dix », comme elle le nomme dans son livre, dormit dans le grenier de la soue à cochons, contraint de ne parler que le breton avec ses autres camarades, valets de ferme. Un matin, l’adolescent prit son courage à deux mains et partit se réfugier chez son frère Joseph, qui lui enseigna son métier de maçon. Mais il avait perdu l’habitude de s’exprimer en français et désormais personne ne le comprenait. A cet instant, il connut une nouvelle fois la honte. Il décida alors d’investir l’argent de sa première paie dans l’achat d’une grammaire française et d’un dictionnaire breton-français pour « réapprendre le français ».
« Par ce livre j’ai voulu rendre justice à mon père qui a été paysan dans son enfance et qui à force de persévérance a réussi un très beau parcours. Mon père était fier, altier, rendu peut-être même un peu hautain par tant d’humiliations rentrées. Il arrivait d’ailleurs que ma mère se rebelle. Je n’ai pas cherché à le ménager dans mon livre. Dans mon enfance, j’aimais lire à côté de la malle où étaient entreposées les lettres qu’il avait écrites lorsqu’il était prisonnier de guerre. Sans le savoir, j’étais comme attirée par le force occulte de ces souvenirs dont j’ignorais alors l’existence ». Irène Frain est naturellement bouleversée par son histoire familiale.
A travers l’évocation de son père, elle retrace la saga de ces millions de héros ordinaires qui se battent quotidiennement sur la planète pour se nourrir, progresser et donner un sens à leur vie. « En Bretagne, nous avons la capacité de rebondir. Nous sommes un peuple énergique de résistants et surtout nous avons l’énergie « le nerzh ». Je crois également que nous bénéficions d’un formidable gisement de matière grise. La matière grise, c’est la seule grande énergie renouvelable au monde. On la transmet aux enfants, on la diffuse dans l’instant par cette volonté de croire. En cela, nous ressemblons à ces formidables réservoirs d’énergie humaine que sont l’Inde, la Chine ou l’Afrique. Souvent je me sens bien avec eux parce que c’est ce que j’ai connu gamine. Nous sommes malheureux en ce moment pour diverses raisons, mais nous ne sommes pas dépressifs, car nous avons cette combativité bretonne et les moyens d’innover » rappelle la romancière engagée. En cela, Sorti de rien part de la Bretagne pour toucher à l’universel. L’ouvrage pose également avec acuité et urgence la question de la dignité des hommes qui se confond bien souvent avec celle des peuples, breton, touareg ou tibétain, lorsqu’ils subissent l’arbitraire des puissants ou de ceux qui sont censés les représenter