10 mai 1981 : la gauche gagnait... Par Laurent Joffrin
Retour sur la victoire de F Mitterrand avec un texte du patron du journal Libération que j'ai croisé à Saint Etienne. Avec ce retour dans le passé on comprend sans doute qu'il manquait un élément lors de la victoire de François Hollande en 2012: la ferveur.
C'était au temps où la gauche chantait. C'était au temps de l'espoir, au temps de la victoire. A cette époque, la gauche gagnait. C'était au siècle dernier...
Le signal fut bizarre, saccadé, électronique. Un Mitterrand en pointillé qui s'imprimait sur les écrans du 20-Heures, comme un fantôme géométrique. Et pourtant ce fut le signal d'une libération.
Aussitôt une rumeur résonna. Une foule se rassembla au hasard, sur les places et dans les avenues, à la Bastille et ailleurs. Point de drapeaux rouges ni de poings levés : treize ans après Mai-68, avec la montée en puissance d'une Union de la Gauche qui promettait une autre société, le fond de l'air était rouge ; mais la vague électorale était rose.
Le PS dominait la coalition qui portait Mitterrand à l'Elysée. On resterait dans le cadre raisonnable de la réforme, conformément aux traditions républicaines. Ce ne fut pas une révolution mais une réconciliation.
La moitié de la France jusque-là tenue hors les murs accédait au coeur du pouvoir. Un peuple exclu de la représentation trouvait dans cette élection un surcroît de dignité. Ainsi pendant cette soirée noyée de trombes d'eau, "la Marseillaise" chantée jusqu'à l'épuisement fut le seul hymne de la revanche. Quoi qu'il se passerait ensuite, on ne pourrait oublier ce délicieux instant, ce quart d'heure d'illusion lyrique, ce moment de fraternité.
Ferveur, élément décisif
Pourquoi cette victoire, si improbable un an plus tôt ? Comment la comprendre, comment, à plus de trente ans de distance, en tirer une leçon ?
Il y eut un élément décisif, qui manque aujourd'hui et sans lequel la gauche risque fort de rater, une nouvelle fois, l'échéance historique : la ferveur.
L'échec du "socialisme réel"
La ferveur fut celle des années 1970. Dans la foulée des mouvements civiques ou révolutionnaires d'Amérique et du monde, après l'explosion libertaire et sociale de Mai-68, une nouvelle culture politique avait vu le jour.
L'étoile rouge du communisme pâlissait à mesure qu'on mesurait l'échec historique du "socialisme réel". Mais, sous une apparence d'immobilité, le PCF sûr de lui et dominateur évoluait. Il jouait la carte de l'union et de la démocratie, réveillant dans le pays les souvenirs du Front populaire et de la Libération.
Bouillonnement
L'extrême-gauche ressuscitée par 68 changeait tout autant. Le rêve révolutionnaire s'étiolait et la lutte armée n'attirait qu'une petite troupe égarée. Fiévreux, impatients, les militants se sentaient dans l'impasse, après tant d'inventions et d'agitation.
La voie électorale leur apparut comme une planche de salut. Bousculé par les seventies, le PS sut tirer parti de ce bouillonnement né en dehors de lui. Rénové à partir du congrès d'Epinay en 1971, il adopta un programme plus audacieux - et plus risqué. Il tint un discours de rupture, en empruntant à Arthur Rimbaud son mot d'ordre poétique : changer la vie.
Ainsi ces trois courants, communiste, gauchiste et réformiste, se mêlaient et s'affrontaient dans un désordre fécond, nourrissant les débats et les combats jusqu'à la victoire du 10 mai. La ferveur...
L'illusion s'est dissipée très vite. Deux ans plus tard, c'était le tournant de la rigueur, exigé par l'excès des dépenses. Selon une formule d'époque, la gauche au pouvoir devait rompre avec le capitalisme ; elle a rompu avec le socialisme.
Renaissance
Alors, après trente ans de difficultés économiques et de déceptions, dans une société fatiguée par la mondialisation, tout cela est- il mort ? A-t-on cessé de croire en l'avenir, de faire confiance à l'espoir, de rêver d'un monde meilleur ?