Ce texte date de fin 2012.. Il semble toujours d'actualité...Par exemple avec la manifestation FEMEN lors du procès DSK le 10 février 2015.
Cet article débute par l'exemple de Nabilla et il se termine par la vision de l'artiste ORLAN et du philosophe Onfray avec qui on pourra se demander si le corps illustre parfois une volonté de défier une autorité avec le risque que cela comporte.
Née dans les années 90 à Ambilly Nabilla d'origine italo-algérienne fait donc partie de la Génération Y (http://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9n%C3%A9ration_Y). Engagée dans le chemin de la TV réalité, elle s'est façonnée corporellement, elle veut devenir play mate. Mais le danger pour une personne si jeune (une vingtaine d'années) c'est ce coté irréversible de cette transformation. Donc une impossible souplesse et le risque de devenir la cible de flèches médiatiques ou de l'opinion publique... Mais aussi une sorte de dédoublement entre son SOI et l'image publique, qui va l'emporter?
L'Amour est aveugle », « Les Anges de la téléréalité » et aussi « Hollywood Girls » , ont ouvert les portes de succès et offert la célébrité à Nabilla Benattia.
Marie-Luce Grange Benattia s'est confiée à la presse sur le passé de la jeune femme suite au buzz engendré lors de la cinquième saison des Anges de la télé-réalité. Dans cette interview, on apprend que la demoiselle a voulu devenir mannequin très jeune. Dès l'âge de 14 ans, elle arrête l'école pour se consacrer entièrement au mannequinat. Un choix qui n'est pas accepté par le père de la Bimbo qui pouvait par moment devenir violent et blessant verbalement. Lors de la séparation de ses parents, elle fût élevée par sa grand-mère, Livia. Choyée par sa mamy, elle est devenue une "enfant gâtée très exigeante, mais surtout fainéante". Dans l'interview accordée à Public, sa maman tient aussi à prendre sa défense face aux personnes qui la qualifient d'"inculte": "Elle a cette innocence à la Marylin Monroe. Elle prononce des phrases incroyables, mais il ne faut pas croire qu'elle est inculte. Elle est emportée par son élan et veut aller trop vite. Alors elle s'emmêle les pinceaux". Cependant, elle n'est pas d'accord avec tous les choix de sa fille, par exemple, le fait qu'elle se soit fait gonfler les seins: "Personne n'a compris pourquoi elle a fait ça. Il fallait qu'elle ait une grosse poitrine pour souligner son petit côté excentrique. Parfois, je lui dis quand même que c'est trop, qu'il ne faut pas qu'elle mette de push-up"!
Ce témoignage ne semble pas voir que l'opération de la poitrine leur permet souvent de prendre confiance en elle et de vivre leur relation à l'autre de façon plus assumée et de retrouver une confiance en soi. Nabilla déclare détester la période où elle était une planche à pain.
Nabilla répond: " j'ai fait gonfler ma poitrine - assurer le contraire serait difficile" ! Mais pourquoi ? "J'étais très complexée par mes petits seins. A 18 ans, je faisais un pauvre 85B. A l'époque, je n'avais qu'un rêve : me faire opérer la poitrine. D'ailleurs, quand j'ai participé à l'émission L'amour est aveugle , je mettais du coton dans mon soutien-gorge"... "Je suis passé à un 95 double D." (pour 1m76)
Peut-on parler d'un défi au père Khoutir Benattia ? « Mon père est arrivé d'Algérie sans savoir lire ni écrire, a-t-elle confié. Il a commencé par distribuer le courrier à l'Onu. Aujourd'hui, il est cadre mais il a dû enchaîner les postes peu qualifiés avant d'en arriver là. » Elle poursuit en expliquant avoir grandi « dans un climat ultra-conflictuel » ou elle était partagée entre « deux cultures constamment en guerre »
Selon Nabi: « Je ne suis jamais allée en Algérie. Je suis éloignée de la culture et de la religion du pays d'origine de mon père. Certaines personnes s'étonnent que je fasse des photos sexys parce qu'ils pensent que je suis musulmane mais ce n'est pas le cas. Je n'ai pas de lien avec la religion. L'Algérie fait partie de mes racines de par mon père mais je me sens davantage italienne parce que j'ai grandi avec ma mère. J'ai peu vu mon père parce qu'il travaille pour l'ONU."
Attention danger donc. Notre système économique et médiatique risque de développer avec l'aide de la chirurgie une nouvelle forme d'objetisation.
L'objétisation: c'est le passage de l'état sujet à l'état objet. Une forme d'esclavagisme avec la production de femmes sirènes aux mensurations hors normes qui risque d'y perdre leur humanité.
On se souvient de la jeune Zahia....Mais que dire de cette jeune Barbie russe Valeria ?
Selon Spinoza on ne peut pas isoler le corps et l'esprit. Le corps et l’esprit désignent une seule et unique substance dont l’expression prend corps de deux manières distinctes ; ces deux attributs ne sont point réductibles l’un à l’autre. Ainsi si l'on pense à FEMEN ce mouvement féministe incarne un esprit de révolte mais aussi un corps en révolte donc le contraire de l'objétisation.
Inna Schevchenko, une des fondatrices du mouvement FEMEN, dit : « Le féminisme a abandonné ses formes les plus traditionnelles. Si on veut vraiment bouger les choses, aujourd'hui il faut le repenser. Et manifester torse nu, c'est se réapproprier son corps. C'est l'assumer. »
Elvire Duvelle-Charles est l'une d'entre elles elle s'est jetée sur la voiture de DSK lors du procès du Carlton. La jeune réalisatrice et vice-présidente de Femen France déclare: "J’ai toujours suivi les mouvements féministes. Car je suis gavée par cette pression, ce harcèlement et ces inégalités hommes-femmes. Les Femen ont un mode d’action qui me correspond. Et comme je ne suis pas de nature passive" "Moi qui suis de nature pudique, j’ai tout de suite trouvé ça naturel. Il y a une grande différence entre se dévoiler sur la plage ou dans le cadre de nos actions. Le « sein nu » véhicule notre message : on veut donner une autre image de la nudité, laquelle n’est pas destinée qu’à la séduction.
C’est le symbole de la femme forte, combattante, vindicative. La nudité est notre armure. A ce moment là, on se sent forte, car on l’impose quand on veut, où l’on veut." "La provocation est notre outil principal, mais elle n’est pas la seule arme qui vaille. Nous l’utilisons car notre objectif est de déclencher des discussions, poser des questions. Et en provoquant, on inverse le pouvoir médiatique, on le spame. Ainsi, on attire l’attention sur le sujet qui nous intéresse. Notre rôle est de donner un coup de pied dans la fourmilière. Nous n’avons pas la prétention de donner des solutions, nous ne faisons pas de politique. Nous savons que nous ne pouvons changer le monde toutes seules. Nous, nous sommes dans l’action. D’autres associations vont interagir avec le pouvoir par exemple. On se complète"
Sur la question du corps j'ai rencontré la philosophe et femme politique italienne Michela Marzano...Voila sa réponse sur la question du corps...
Dans un univers où tout s’accélère et se dématérialise, l’enveloppe corporelle que la nature nous a léguée paraît de plus en plus décevante : le corps semble un fardeau qui nous empêche non seulement d’être efficace, compétent et performant, mais aussi de pouvoir nous épanouir.
« Le corps est obsolète », disait déjà ORLAN il y a une vingtaine d’années, voulant montrer par son corps-oeuvre comment chacun aurait le droit de prendre en main sa vie et d’imposer au monde l’identité qu’il choisit. Pour l’artiste français, le hasard n’a pas le droit de décider à la place d’une personne ce qu’une personne doit ou peut être.
Pour les transhumanistes, il est non seulement possible, mais aussi souhaitable, d’améliorer les capacités humaines d’un point de vue intellectuel, physique et psychologique. L’idée sous-jacente est en effet de permettre à l’homme d’acquérir le contrôle de sa biologie et de le doter de capacités physiques et mentales « surhumaines ». Mais que veut dire « améliorer l’homme » ? Quel rapport existe entre « normalité », « réparation » et « amélioration » ? Quelles sont les raisons invoquées pour justifier l’amélioration de l’homme ? Le désir d’amélioration de soi et des autres est, certes, aussi ancien que l’existence de l’être humain, et s’appuie depuis toujours sur des savoirs et des techniques.
Que dire toutefois du fait qu’aujourd’hui, en étant « réparé », on se retrouve aussi « augmenté », à l’instar d’Oscar Pistorius qui, malgré ses deux jambes tronquées au-dessous des genoux et grâce à ses prothèses en fibres de carbone, court plus vite que nombre d’athlètes olympiques ?
En réalité, l’expérience quotidienne du corps brouille la distinction du sujet et de l’objet, parce que le corps de l’homme est à la fois un corps-sujet et un corps-objet, un corps que l’on « a » et un corps que l’on « est ». L’être humain est une personne incarnée : sans corps, elle n’existerait pas ; par le corps, elle est liée à la matérialité du monde. C’est pourquoi l’expérience du corps est toujours double : nous avons avec notre corps une relation qui est à la fois instrumentale et constitutive. Chacun « tient » son corps, mais en même temps s’y tient : c’est lorsqu’on a la sensation d’en habiter les moindres recoins, qu’on ne s’y réduit pas, sauf à emprunter une « voie folle » qui consisterait, comme l’explique le psychiatre V. Nusinovici, soit à « se désarrimer de son corps » soit à " ne plus se distinguer de lui" .
J'ai rencontré ORLAN artiste multimedia, qui utilise la vidéo, la photographie numérique, la chirurgie, et son corps est devenu le lieu de production et d’exploitation de ses interventions artistiques, inspirées de l’iconographie baroque, gréco-latine et précolombienne. Le philosophe Michel Onfray définit l’esthétique cynique et il prend ORLAN comme porte drapeau avec l’artiste Matthew Barney, je cite : « …contre le conceptualisme pur, revenir immanence avec la construction d’un corps selon son vouloir ; contre la célébration de l’idéal platonicien, déchristianiser la chair par un usage démiurgique de la chirurgie : contre l’égotisme autiste, proposer une réflexion sur les conditions de fabrication d’une identité ; contre le sérieux tragique, mettre en scène une ironie froide et spectaculaire ; contre la fétichisation de la marchandise, produire le percept invendable ; […] contre l’indigence de l’objet trivial, voire kitsch, travailler sur sa propre existence. Ou comment réconcilier l’éthique et l’esthétique… De quoi aborder un XXIème siècle qui sera celui de l’antinature », on retrouve bien ici le travail d’Orlan, et on pourrait ouvrir un autre débat. Soulignons encore la conscience critique qui me semble être un des noeuds du travail d’Orlan : critique de l’art institutionnel, critique des normes culturelles et autres canons, critique de soi aussi, dans un mouvement de transformation décidée et assumée, dans « l’invention de soi » véritablement singulière, libre et oh combien artistique !
« Je suis ORLAN, entre autres, et dans la mesure du possible » affirme ORLAN au seuil de ces cinq entretiens. Elle qui se présente comme «UN femme et UNE homme» pose son identité comme mutante. Mixte. Hybridée. Iconoclaste. Avec humour, toujours. Métamorphose du corps, du visage, de soi. Comme on le découvre au fil de ces entretiens, métamorphose et hybridation sont les paradigmes d’ORLAN. D’emblée, elle impose l’art comme subversion des pressions sociales, religieuses qui font violence au corps, en particulier celui de la femme. Alors ORLAN s’accouche d’elle-m’aime. Et elle investit la totalité des champs artistiques : séries photographiques, mode, sculpture, peinture, vidéo, film, et dès le début, l’art de la performance, toujours renouvelé. http://www.orlan.eu/
J'ai voulu dans ce texte sans doute un peu long mettre face à face le corps objet, le corps politique et le corps oeuvre d'art. Trois chemins différents mais qui se retrouvent dans une sorte de refus d'un parcours tracé par avance. Refus d'un chemin tracé par la nature? La religion? Une famille? Les parents? Un pouvoir? Le père pour Nabilla?
Quand j'avais rédigé ce texte la route de Nabilla semblait petit à petit se transformer...En Avril 2013 elle déclare "Tout le monde me connaît pour mon corps. Maintenant je veux montrer autre chose ". Mais en ce début Novembre 2014 elle se retrouve en garde vue après avoir peut-être poignardé son compagnon Thomas...La symbolique caché du meurtre du père?